Embrunman 2018 : le CR de Stéphane, 1er vitrollais !

EmbrunMan : il était moins une !

 

1er août : plus que 15 jours avant l’EmbrunMan, les entraînements s’enchaînent sans discontinuer depuis ces dernières semaines : il ne faut pas prendre à la légère cette 35ième édition et sa célèbre ligne de départ de nuit à 6H00 « au plan d’eau ».

C’est la 4ième fois que j’affronte le mythe : 12H42’, 12H12’, 12H20’…le mur des 12H00 semble infranchissable malgré l’expérience de plusieurs IronMan. Néanmoins, j’ai résolument décidé de profiter de cette journée de sport sans (trop) penser au chrono, j’ai même envisagé de ne pas mettre de montre. De toute façon, la pression est quand même présente, insidieuse, qui noue l’estomac quand on imagine les 234km à parcourir en trois modes de locomotion.

La famille pose ses valises (et le vélo) à Embrun le 12 août, logée à l’hôtel des Bartavelles idéalement situé à 1 km du plan d’eau. Trois jours de calme, entouré d’un personnel attentionné aux petits soins des triathlètes résidents.

Le 14 août soir, le BMC multi-ironman est religieusement installé dans le parc à vélos où il passera la nuit avant le début des réjouissances. Les vélos de Roma, Alain et Francis sont déjà en place.

Guillaume et moi discutons de la meilleure stratégie à suivre ( !) puis il est temps de regagner le quartier général pour le repas et un peu de repos. D’ailleurs, étonnamment, le dodo-de-la-nuit-d’avant-où-je-stresse-à-chaque-fois se passe plutôt bien.

Dong, dong, dong. Le réveil matin ébranle le studio à 3H00. Finalement, je dormais profondément !

Quelques étirements, bâillements et je sors dans la nuit pour rejoindre la salle du petit déjeuner. Le ciel est étoilé, il fait un peu frais mais ma grenouille attitrée a pronostiqué du beau temps : parfait !

Dans la salle, la fourmi travailleuse de l’hôtel s’affaire depuis 2H30 (oui, oui !) au service des triathlètes silencieux. Il règne une atmosphère quasi monacale. Notre fourmi tourne avec le sourire pour recharger le buffet, distribuer les aliments qui prendront place dans le sac de ravitaillement personnel et encourager son petit monde d’un mot. Ça ne s’oublie pas, merci !

4H30 : la migration annuelle des triathlètes vers le plan d’eau est effective. Je franchis les contrôles de sécurité (Alain passe sous une barrière sans faire exprès et ne sera pas contrôlé !) et retrouve mon beau BMC réglé soigneusement, comme à l’habitude, par Bicimania.

Pression des pneus OK, bidons OK, braquet de départ OK, chaussures vélo et CaP OK, le tout positionné judicieusement dans la caisse officielle, seul contenant autorisé.

Je ferme la combinaison et éteins la frontale pour gagner l’aire de départ en mâchouillant la première banane de la journée. Pas d’échauffement dans l’eau sombre, c’est comme ça à Embrun…la lessiveuse du départ fera monter la température…

5H50, les femmes s’élancent dans la nuit noire sous les acclamations de la foule venue en nombre.

Les minutes suivantes s’égrènent, meublées par la logorrhée ininterrompue du speaker, mais ça fait longtemps que je ne l’entends plus. Les sons sont diffus, les images floutées et seul le bord de l’eau devant moi reste net.

H-4 minutes : la concentration est vraiment totale, je suis prêt pour relever ce défi, Stéphanie me l’a résumé en une phrase « tu vas tout déchirer » !

H-3 minutes : le cœur résonne avec fracas dans mes oreilles.

H-2 minutes : la respiration s’accélère, l’incontrôlable flot d’adrénaline me fait frissonner.

H-1 minute : lunettes ajustées sur le bout du nez…un peu nerveusement.

30 secondes : je lance le chrono et repositionne le néoprène sur mon poignet gauche.

3…2…1…GO !

 

50m de course et sans hésitation je plonge dans l’eau dont la surface brillante reflète les milliers de flash des spectateurs.

Les 500 premiers mètres resteront un calvaire, impossible de sortir du pack où la bataille fait rage. Je bois la tasse plusieurs fois avant de pouvoir enfin me dégager, poser une nage correcte et reprendre mon souffle.

La visibilité s’améliore avec les lueurs du jour naissant. Premier tour achevé, je conserve le rythme, légèrement moins rapide que l’an dernier pour assurer un bon départ vélo (ça monte fort dès le début !!). Je vire la bouée de l’extrémité du plan d’eau, plus que 1000m de ligne droite pour boucler la natation, en souplesse !

Le bout des doigts effleure le fond m’indiquant qu’il est temps de quitter la position horizontale et le clapotis  agréable de l’eau dans les oreilles pour les cris hystériques de la foule.

Direction la rangée 22 tout en retirant la double peau en néoprène. Un coup de serviette, le maillot de Vitrolles sur la trifonction, le dossard, les chaussettes, les chaussures, le casque, les lunettes, une compote et en avant. Transition moyenne mais honorable, ne pas se mettre dans le rouge, ne pas se mettre dans le rouge…

 

Le parcours vélo affiche presque 1 heure d’ascension dès la sortie du parc à vélo. Montée studieuse à lire les centaines de messages d’encouragements écrits sur le bitume : « Allez Xandrie, …, 20m, …, Allez Xandra, …, 20m, …, Baracuda », pour mon préféré!

Saint Apollinaire, point culminant de la première partie, est franchie…en souplesse…la route plonge alors vers le lac de Serre-Ponçon.

Retour à Embrun, passage devant les Bartavelles où les familles sont groupées pour encourager les athlètes de l’hôtel (la direction ayant affichée la liste à l’accueil).

La petite côte de Baratier procure, comme toujours, une vraie décharge électrique dans le corps avec ces centaines de spectateurs qui scandent mon prénom et hurlent comme si j’étais le maillot jaune du Tour de France. Reste 145km de vélo…

La suite de l’itinéraire emmène les triathlètes dans la vallée du Guil, au pied de l’Izoard et des 15km d’ascension. Une forte délégation de vitrollais est positionnée à Arvieux pour soutenir les 5 représentants du club, ça fait du bien de les voir !

Je maintiens une allure modeste, cardio bas, en mangeant régulièrement et surtout en buvant des litres d’eau afin de prévenir l’apparition de crampes survenues l’an dernier pendant le marathon (mon traumatisme depuis un an).

Les km défilent, la Casse déserte et son paysage lunaire me surprennent une fois de plus, la « photo de Tintin » avec le sourire à 2km du haut puis l’avant-dernier virage où mes parents mitraillent méthodiquement sur mon passage. Voilà le sommet du col…en souplesse !

Stéphanie et Yann surveillent le ravitaillement et me parlent mais je ne suis pas très loquace et me concentre totalement sur les surprises culinaires qu’un bénévole extirpe de mon sac personnel. Chouette deux sandwiches au jambon ! Je pousse le premier dans la bouche et range le deuxième dans une poche : déjà 100km, plus que 90 dont 20km de descente vers Briançon.

La légendaire côte de Pallon est abordée sereinement, les yeux rivés sur le bitume à quelques mètres de la roue avant, ne pas lever la tête surtout ! Je déroule calmement jusqu’en haut pour apercevoir, du coin de l’œil, le maillot de Vitrolles : c’est Alain qui est 200m devant, je l’avais oublié. Avec une natation de folie en 53’, c’était évident qu’il ouvrait le bal des vitrollais.

Je grignote lentement mon retard pour le rattraper au niveau de l’aérodrome de Mont-Dauphin. On échange quelques mots, il est en forme et a le sourire : c’est son premier XXL et tout se passe bien !

Il reste moins de 40km de vélo et nous ne nous quitterons plus vraiment : je construis un peu d’avance sur les parties plates et les descentes, Alain me reprend dans les montées où il mouline à la cadence d’un Froome survitaminé : impressionnant !

La dernière difficulté du programme cycliste est abordée : le Chalvet et son revêtement tout simplement pourri, il n’y a pas d’autres qualificatifs.

Alain « Froome » tourne les jambes à 150 tours/minutes et me dépose avec le sourire…je monte aussi (en souplesse…) mais bien moins vite maintenant, mes intestins annonçant une rébellion proche, frustrés de l’abondance quasi-exclusive de bananes et de gels énergétiques…la situation se dégrade, pas cool.

Un ravitaillement et c’est la bascule vers le plan d’eau en enchaînant les virages traitres et gravillonnés de cette descente finale. Je double Alain, bien plus prudent et raisonnable, et pose le vélo quelques secondes en tête.

BMC suspendu, manchons de compression sur les mollets martyrisés, chaussettes et running aux pieds…et là, j’hésite…enchaîner le marathon ou procéder à la pause technique que revendique mon système digestif?

Je pense aux milliers de spectateurs qui se groupent peu à peu sur la boucle de 14km et opte pour l’intimité cosy des toilettes plastique surchauffées et secouées par les ondes sonores du haut-parleur dans lequel s’égosille le speaker. Au moins, je resterai assis quelques minutes…

Après cette longue T2 salvatrice, j’aborde la course à pieds en trottinant. Alain a déjà fait le demi-tour du plan d’eau pour se diriger vers Embrun.

Progressivement je reviens sur lui, lui souhaite bonne chance et me reconcentre sur MA course, complètement égoïste. Chacun de nous est sur son rythme de croisière, il y a encore 40km à faire, ce n’est pas le moment de s’emballer (n’est-ce pas Noël J ?).

Madame, fiston numéro 2, mes neveux, ma sœur et mes parents sont répartis sur la boucle de 14km et m’encouragent régulièrement. Même si je ne leur réponds pas trop, la motivation se nourrit de leurs paroles. En haut d’Embrun, Joël hurle « ne lâche rien » ! Oh que non, je ne vais rien lâcher, le mental est au top et je cours …en souplesse!

Premier tour et la sensation d’une hypoglycémie imminente : arrêt impératif au ravitaillement suivant pour prendre un gâteau de riz, refaire le plein de ma gourde et souffler une minute. Les sucres diffusent rapidement dans le corps et le deuxième tour se fait sur une allure soutenue, le mental toujours très haut, je ne lâche rien. Pas de crampes à l’horizon, une petite gêne au genou gauche mais c’est juste pour me faire plaindre.

Troisième tour et un nouveau gâteau de riz gobé à la va-vite! La côte d’Embrun semble un peu plus raide cette fois-ci, bizarre… je cours quand même, plus lentement, mais sans marcher ! Environ 7km à faire quand Madame m’annonce « moins de douze heures, c’est jouable» !

Pour la première fois depuis le début de la course, je regarde l’heure. Il est 17H30, à 18H00 cela fera 12 heures.

Le cerveau abandonne momentanément la surveillance des paramètres physiques et se lance dans une frénésie de calculs. Oui, c’est jouable mais il va falloir pousser la machine dans le rouge. Qu’est-ce que j’ai à perdre ? A 7km de l’arrivée, je suis certain de finir même s’il faut ramper, alors pourquoi ne pas fleurter avec la barrière interdite des 12 heures ?

GO !

Déconnexion des protections, une, dernière, banane et je lâche les chevaux en augmentant la cadence, de plus en plus vite. Je slalome entre les concurrents et les spectateurs dont le nombre croît au fur et à mesure des arrivées vélo. Je décide de sauter les 3 prochains ravitaillements et rationne l’eau du bidon.

Passage au terrain de rugby, petite montée en poussant sur les pointes des pieds, descente vers la Durance et j’aborde les 1.5 km de ligne droite pour rejoindre le plan d’eau.

17H50, reste 10min, je tricote des jambes, attrape une éponge à la volée, vite, vite, vite, ça peut le faire…ce n’est plus trop en souplesse mais les hectomètres défilent.

Je pousse les spectateurs qui obstruent le passage, terrorise une maman avec sa poussette qui bloque l’étroit chemin de terre vers le plan d’eau.

17H56, le plan d’eau.

17H57, le parc à vélo. J’attaque la remontée qui contourne la piscine, ma sœur courant derrière les barrières en criant.

17H59, je vire en haut de la grande ligne droite recouverte du tapis bleu annonçant la finish line et lève la tête vers le chronomètre officiel : 11H59’35’’…25 secondes pour cette longue descente, plus d’autre choix que de sprinter comme s’il n’y avait eu que ça à faire aujourd’hui. Sans se poser de question, en oubliant toutes les douleurs, en donnant tout.

La ligne arrive à grande vitesse, les spectateurs ont compris l’objectif et hurlent sur mon passage, je me jette sous l’arche, lève les bras, poings fermés, la bulle de concentration explose : 11H59’59’’, yeeeeeeeeesssss !!!!

La suite est un peu troublée, je reprends mon souffle allongé sur ce beau tapis bleu (premier prix de CastoMerlin ?) sans y croire réellement, les images de la journée se bousculent, se mêlent aux souvenirs des entraînements des derniers mois, des triathlons de préparation, des moments plus délicats où le moral est en berne mais voilà, je l’ai fait ! 4ième fois finisher de cette aventure mythique, la médaille de cette année a une saveur toute particulière.

Toute la famille est présente, on se regarde sans vraiment réaliser, il va falloir un peu de temps maintenant pour revenir au calme.

Je pense aussi à mes collègues vitrollais qui sont encore sur le parcours. Alain boucle son premier IronMan en 12H23, impressionnant ! Guillaume prends la troisième place du club en 12H42 (après avoir fait Nice deux mois plus tôt) puis viennent Francis (13H52) et Roma (14h41) pour réaliser un 100% de finishers. Coach Sébastien tu peux être fier de ton travail !

 

Ce long compte-rendu ne saurait être complet sans une pensée vers tous ceux qui m’ont soutenu. Car il faut avoir de la patience pour vivre autour d’un triathlète, partager les repas à base de graines, de spiruline et de riz sans trop de viande, faire abstraction des effluves de néoprène aux senteurs boisées d’étang de Berre, slalomer entre le matériel de vélo entreposé dans les moindres recoins du garage, combattre l’humidité des affaires de sport perpétuellement en train de sécher, oublier la sonnerie récurrente de l’entraînement à 5H00 du matin, faire fi de l’humeur chancelante quand une réunion (inutile) vient perturber le plan à suivre, croiser les doigts pour que la météo soit enfin à la pluie afin d’avoir un petit-déjeuner en famille et j’en passe !

Mais quelle récompense, elle n’a pas de prix : Embrun c’est magique, vive Embrun !

Stéphane

Moins de 12 !