EMBRUN 2019 – Le mythe perdure

Août 2019
Déjà une année écoulée depuis la dernière participation à l’Embrunman, ça passe vite quand on y pense.

Cet été en configuration « manchot » ce n’est pas évident de nager en ligne droite ou de pédaler convenablement…Il va falloir trouver autre chose : c’est donc décidé, je m’inscris à l’Embrunman 2019…en bénévole!

14 août, 13H30
Le soleil des Hautes-Alpes baigne le célèbre parc à vélos du plan d’eau d’Embrun. La température est raisonnable, ni canicule ni fraîcheur, c’est une météo idéale pour accueillir les prétendants au mythe qui doivent déposer leur bicyclette cet après-midi.
Le flot d’athlètes est continu dans une ambiance bon enfant, les sourires sont de mise, les plaisanteries fusent, loin d’un quelconque stress remisé au lendemain. Il s’agit de profiter des moments paisibles précurseurs de la débauche d’énergie attendue.

A l’entrée des artistes, je procède au marquage (d’une main), à un petit check vélo et prodigue généreusement tous les conseils nécessaires à ceux qui participent pour la première fois. Il faut avouer que c’est gratifiant de jouer « au vieux moustachu ».

Quatre vitrollais s’engagent dans l’aventure: Lugo, Sébastien, Yann et Stéphanie.
Leur installation dans le parc se fait tranquillement ce qui m’impressionne car je suis plutôt du genre stressé et renfermé dans ces moments là.

Pour Lugo et Sébastien, il s’agit d’une première. Pour Yann et Stéphanie, je ne peux pas dire qu’ils soient « moustachus » (ouf…) mais ils ont l’expérience d’un premier Embrunman en 2017 et ça compte presque autant que les 12654km de Stéphanie en vélo depuis janvier.

Les pros emménagent aussi, tous équipés de vélos de chrono malgré le dénivelé important. Il y a même une roue lenticulaire qui trône dans la première rangée…faut oser.
Parmi ces athlètes de haut niveau, la foule repère vite Romain Guillaume, le local de l’épreuve, qui est accompagné par des applaudissements nourris. La presse n’a d’yeux que pour lui (moi je regarde juste sa clavicule qu’il s’est cassée il y quelques mois…).
Diego Van Looy, le vainqueur de l’an dernier, est plus discret. Va-t-il nous ressortir un marathon en 2H44?

Le parc ferme ses grilles sur les retardataires qui arrivent essoufflés: place aux vigiles et aux toutous qui vont veiller sur les millions d’euros de matériel. Faites le calcul, vous verrez…

 Allez, à demain !

15 août, 3H00
Sonnerie à la même heure que ces dernières années mais cette fois-ci pas de petit déjeuner « course », plutôt un gros bol de céréales plein d’acides gras saturés et de sucres simples 😣.

François, qui sera juge/arbitre toute la journée, me récupère à 3H30 et nous gagnons le plan d’eau en traversant les rues désertes d’Embrun, encore bien assoupie. Les boulangers ont ouvert leurs ateliers et semblent être les seuls actifs au milieu des volutes de farine.

Fait quand même pas chaud au bord du plan d’eau. Le petit café de bienvenue pour les bénévoles revigore avant de se mettre en place. Le parc à vélo se réveille, les vigiles se positionnent pour contrôler les arrivants, les hauts-parleurs crachotent faiblement une musique non identifiée, tout le monde chuchote en regagnant son poste. Le calme et la quiétude sont encore dans la place.

15 août, 4H00
Les vannes sont ouvertes!

Il y a déjà du monde qui se presse à l’entrée, la caisse officielle contre le coeur, le sac « ravitaillement personnel » couvé comme un trésor…les visages sont généralement fermés…on rigole moins au pied du mur, c’est humain même pour des futurs Iron(wo)men.

Les pros s’échauffent en discutant sereinement entre eux, il n’y a pas d’esprit de compétition exacerbé comme je l’imaginais mais plus une « bande de copains » qui se prépare pour une journée de sport. Vistica manipule un élastique de gymnastique pour préparer ses épaules à l’épreuve de natation, d’autres font quelques mouvements sans charge. Aucun ne va piquer une tête dans l’eau sombre. Pas fous les pros…

La migration des grenouilles en Néoprène s’initie lentement et de façon disparate pour croître rapidement en un flux continu. Une force invisible pousse implacablement les batraciens vers la plage.

De ma main valide, je ferme la combinaison de Stéphanie et lui demande de rapporter cette belle médaille tout à l’heure.

Les minutes s’égrènent, les participantes sont sur la plage et ajustent leurs lunettes, les hommes sont maintenus en respect plus en arrière mais piaffent d’impatience en accentuant la pression sur la ceinture de bénévoles, le speaker harangue la foule qui s’est massée en nombre le long des barrières qui plient sous le poids, tout là-haut dans le ciel, la lune éclaire faiblement le plan d’eau, lisse comme un miroir…

15 août 5H50
La corne de brume déchire la nuit alors que les grenouilles féminines sont englouties par l’eau noire.
Le sas des hommes est ouvert, c’est la chevauchée vers la ligne de départ où de valeureux juges essaient de contenir leur empressement.

15 août 6H00
Sous une clameur assourdissante, la meute masculine est enfin libérée dans un tourbillon d’écume et de bonnets blancs.
Les flash crépitent par milliers illuminant ce petit coin de montagne, le speaker s’égosille dans son micro à s’en décrocher les cordes vocales, les encouragements fusent de tous les côtés, l’eau bouillonne, les graviers de la plage volent sous les pieds des coureurs/nageur.

Et d’un coup le silence s’invite, pesant, oppressant, comme si le coach nous avait annoncé 10 minutes de battements de pieds à la piscine (beurk les battements 😡). Tout le monde retient son souffle.

Moins d’une heure plus tard, la tension est remontée d’un cran. La première femme émerge des flots portée par les viva. Le premier homme (qui met « une tôle » à tous les autres) sprinte sous les hourras, Romain Guillaume déclenche une vraie frénésie, …et ça défile…Sébastien sort de l’eau bien classé et fonce vers son emplacement vélo.
Viennent ensuite, Stéphanie puis Yann et Lugo.

Prenant à coeur mon métier de barman, je distribue quelques cafés et bananes mais les triathlètes sont pressés d’en découdre avec le parcours vélo et les arrêts sont sporadiques.

Petit coup d’oeil à la rangée #3 que j’aperçois depuis mon poste, Stéphanie débute sa transition.

L’arrivée de nouveaux nageurs ressemble aux nouvelles créations d’impôts, cela semble sans fin…les minutes passent…

Progressivement, les moins bons nageurs s’extirpent des eaux de la Durance. Eux prennent le temps de se ravitailler et de souffler un petit mot « c’était dur, il y avait des algues beurk, quelle bataille ».

Pour passer le temps, je pique une banane dans le ravitaillement des coureurs et machouille mon deuxième petit déjeuner.

Stéphanie continue sa transition.

François, posté en tant qu’arbitre à la sortie de l’eau, me regarde interrogatif. Impatients, nous nous dirigeons vers elle pour s’enquérir de la situation « transitionnelle ».
Et bien ouiiiiiiiii, ça va!!! M’enfin, laissez moi le temps après la natation pour être au top sur les photos dans l’Izoard!

Enfin, le vélo Treck prend le départ (je n’ose plus dire son envol depuis juillet dernier). C’est parti pour 188km et quelques menus mètres de D+.

Yann, qui lui aussi a pris son temps, sort à son tour du parc à vélos qui se vide maintenant de ses sportifs aussi surement qu’un compte en banque vers le Trésor Public (bon j’arrête). Mis à part un dérailleur cassé au bout de quelques hectomètres, pas d’incident notable sur l’ensemble des participants. Ç’aurait pu être pire…

L’excitation des dernières minutes s’estompe, la quiétude des lieux reprend le dessus comme après une tempête. Témoins de la récente bataille aquatique, quelques bonnets blancs remontent à la surface et s’échouent sur le rivage. Les habituels pêcheurs d’Embrun constatent avec tristesse la couleur « boue » de l’eau brassée par 1300 fanatiques. Va falloir un moment pour revoir des poissons.

La pause accordée à la faune aquatique est de courte durée puisque le format M se met déjà en place. Elisabeth représentera les vitrollais.

Honneur aux dames comme pour le XXL, les femmes partent  avec 10 minutes d’avance.
Au jeu de la natation, Elisabeth marque des points et sort dans le groupe de tête pour se lancer sur la boucle vélo de 44km, parcours exigeant qui débute par quasiment une heure d’ascension. La course à pieds, presque plate mais pas complètement quand même me précisera Elisabeth, s’avère un peu plus délicate mais c’est toujours un bonheur de franchir la ligne d’arrivée au plan d’eau (et du coup d’être en tête des vitrollais).

Le M se conclut, le XXL suit son cours quelque part entre Embrun, l’Izoard et Pallon…il est temps de rentrer prendre un peu de repos avant le marathon.

Attablé devant mon assiette, je scrute le « Live » de la course pour anticiper le retour vers Embrun juste avant la célèbre côte de Chalvet.

A peine au fromage que le premier de l’épreuve déboule avec plus d’1/4 d’heure d’avance sur le deuxième. Il passe à Mach 2 devant la résidence en moulinant…sur son grand grand plateau plein de grandes grandes dents sans même donner l’impression que ça monte. On n’est définitivement pas dans le même monde.

Retour à la maison pour le dessert et la sieste…du coup je rate Sébastien tout embru(n)mé dans ma somnolence. Quel imbécile (moi, pas Sébastien).

Complètement réveillé cette fois-ci, je m’équipe d’une bouteille d’eau bien fraîche et prends position dans la côte d’Embrun.

Yann arrive, je le reconnais de loin à la pochette très aérodynamique qui se balance sous son guidon. Il n’a clairement pas la tête des grands jours…il lui reste Chalvet…ça va être laborieux me dis-je intérieurement.

De l’eau fraîche sur les jambes pour redonner du tonus, croisons les doigts pour le marathon. La course à pieds, c’est « son truc » donc une fois sur ses deux pattes ça le remotivera. Mais honnêtement je m’inquiète pour la suite sans le lui laisser paraître.

La bouteille d’eau n’a pas le temps de se réchauffer que Stéphanie se profile en bas de la côte. Comme prévu, il n’y a pas de souci et elle déroule avec le sourire sur un rythme stable. Ce ne sont pas 188km qui vont l’émouvoir.
Elle ne veut pas d’eau sur les jambes…mais sur la tête! Ce que je m’empresse de faire avec application en trottant à côté. Chalvet c’est tout droit en haut, go!

Quant à Lugo, impossible de le voir. Quand le « Live » l’annonce, je pointe le bout du nez, bouteille d’eau rechargée, mais je ne le verrai jamais.

Dans le même temps Sébastien passe devant moi sur la première des trois boucles du marathon. La foulée est assurée et le rythme stable. Certes la ligne d’arrivée est encore loin mais ça s’annonce bien.

Bien calé à l’ombre, je scrute d’un oeil les prochains vitrollais et de l’autre les informations du Live. Yann et Stéphanie ont fait une trèèèèès longue transition (ben alors ?) et sont dorénavant sur le parcours CaP. Yann passe le premier devant mon poste de guet et je reprends espoir en le voyant dérouler ses longues jambes sans effort apparent.
Stéphanie suit de près avec le sourire (photo oblige) et une foulée alerte.

Que du bon pour les vitrollais en course!

Lugo est décidément toujours invisible et ne progresse plus selon les indications du Live. Je vais aux renseignements vers d’autre bénévoles et il semble (et ce sera confirmé) qu’il ait été victime d’une chute en vélo lors de la dernière descente vers le plan d’eau…je compatis à 150%, vous ne pouvez même pas imaginer.

L’Embrunman se poursuit quand même, inexorable, implacable, les athlètes attirés par cette ligne d’arrivée de plus en plus proche mais encore inaccessible.

J’ai rejoint le ravitaillement situé en bas de la terrible côte Chamois (les coureurs y passent deux fois par boucle) où mon fiston distribue à tours de bras les verres de coca et d’eau. D’ailleurs il criera dans son sommeil toute la nuit suivante « courage! De l’eau? Du Coca? On ne lâche rien! »…traumatisé…pauvre enfant de triathlète.

Après la mauvaise nouvelle pour Lugo, c’est Yann qui pose les baskets, trop fatigué par un récent virus (hépatite confirmée plus tard!). Courageuse décision que de savoir mettre fin à sa course avant que les choses n’empirent franchement, il en faut de la lucidité.

Sébastien passe tout juste devant moi dans son deuxième tour. Il a bonne mine et continue sur son rythme. Bien!

Avec le nombre décroissant de coureurs en course, les informations procurées par le Live sont plus fluides, mais l’attente reste longue.

Le soleil commence à décroître sur l’horizon et la température se rafraîchit vite. Dans le lointain, on entend les applaudissements des spectateurs restés au plan d’eau et les injonctions du speaker dont les cordes vocales font preuve d’une endurance exceptionnelle depuis 5H30 ce matin.

Deuxième tour bouclé par Sébastien qui repart une ultime fois vers le village. Au ravitaillement ce n’est plus, mais vraiment plus, l’entrain des tours précédents. Ses traits sont creusés et le corps semble drainé de toute énergie. Il s’arrête longuement pour boire des litres d’eau…complètement déshydraté. « Stop Sébastien, arrête de boire autant d’un coup, tu vas être malade et ce sera pire ensuite ». Là, il est dans le dur et c’est frustrant, en tant que spectateur, de ne pas pouvoir l’aider autrement que par des paroles.
Allez, courage, il faut tenir une dizaine de km.

15 août, 20H27
Sébastien en finit avec son défi et franchit la ligne d’arrivée de l’Embrunman 2019. Yes!

Plus qu’une vitrollaise en course…et la troisième session de « côte Chamois » est éprouvante,  j’arrive à la suivre dans la pente alors que l’obscurité s’abat sur les coureurs et que les ombres des montagnes enveloppent le parcours.

Sous l’oeil bienveillant d’un arbitre/juge à la barbe fleurie (il se reconnaîtra), on procède à l’échange casquette/lunettes de soleil contre frontale. C’est maintenant qu’il faut aller chercher cette médaille, au mental!
Le fin faisceau de lumière s’enfonce dans la nuit…

15 août, 21H37
Stéphanie en finit elle aussi avec le challenge 2019. Re-Yes!

L’Embrunman 2019 s’achève.

On me l’avait dit en 2013: « quand tu fais Embrun, le 15 août ne sera jamais plus comme avant ».

Et je vous assure que c’est vrai, le 15 août est une date plus forte même que votre anniversaire…cette épreuve est à part: faire partie du mythe, ça ne s’oublie j.a.m.a.i.s.

Bravo les finishers!!

A qui le tour en 2020?

Stéphane
Spectateur finisher
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