Du rhum dans les bidons: « Triathlon de l’Océan Indien »

Tout commence par une clavicule émiettée, des vacances d’été à regarder Jalabert dans le petit écran sur les routes du Tour et une saison de triathlon interrompue bien avant l’heure.

Fin septembre, le chirurgien me donne le « top » tant attendu pour recommencer à barboter dans le chlore.Pourtant sans compétition ni objectif en ligne de mire, je tourne en rond  tous les 25m dans la piscine du Liourat à refaire du muscle. Seulement 15 jours avant le L de Bandol, c’est vraiment trop juste pour réapprendre à flotter (je n’ose même pas dire nager vous noterez).

L’esprit s’évade alors vers les contrées lointaines où il fait chaud et un soir l’écran affiche une publicité pour l’île Maurice et son triathlon autoproclamé « le plus beau du monde ».En y regardant de plus près, je trouve une photo de notre «Toub’ » en plein effort sur l’édition 2017. Renseignements pris auprès dudit Toub’…négociations rapides et (trop) faciles avec Madame qui aime le soleil, la chaleur et les hôtels de luxe sur un golf et c’est un GO! La carte de crédit rentre en surfusion et m’insulte copieusement quand je tape le code. Tant pis, on n’a qu’une vie.

Six semaines pour être prêt, c’est jouable: les séances vont s’enchaîner à un rythme effréné pour revenir au niveau…et vous pouvez me croire sur ce coup, je n’ai pas fait dans la demi-mesure.

Décollage dans la bétaillère d’Air Mauritius le 10 novembre avec les valises, le vélo bien emballé (merci Bicimania pour le prêt d’une housse de transport) et le sac de golf, le vrai déménagement! Bon, j’ai réduit le poids en laissant la combinaison néoprène…Après 12 heures de vol compilé sur ce qu’il est malhonnête de vendre comme un siège (comment font les grands???), la chaleur moite et le soleil nous accueillent dans l’hémisphère sud. Action 1: ranger le pull bien au fond du sac.

Sur place, la préparation physique est intense et contraste avec les semaines précédentes: buffet gastronomique à volonté, farniente les pieds dans le lagon, et obligation de tester le rhum local pour être poli. J’ai l’impression de me métamorphoser en sumo…Le sport se résume à un peu de footing, de la nage à contre-courant dans le lagon (oui, oui, on a l’impression qu’un gars a ouvert la bonde de la baignoire selon l’heure de la marée) et du vélo à contre-sens puisque les colons anglais ont légué cette habitude de rouler du mauvais côté.

Dans la semaine, l’organisation propose une reconnaissance du parcours vélo encadrée par Cyril Viennot, Charlotte Morel et Laurent Jalabert (qui est sorti de la télé pour l’occasion). Nos professionnels se prêtent avec gentillesse aux demandes incessantes et répétées de selfies. Je n’échappe pas à la règle en en profite pour voler une photo avec notre Charlotte nationale.

Le samedi à 6H00, ouverture du parc à vélo, directement sur la plage. Premier arrivé, premier servi, on positionne son vélo au choix.Je suspends le BMC, étale la serviette de l’hôtel, tellement grande que je la partage avec mon voisin du club de Tri de Metz et organise méticuleusement mes petites affaires…4 mois sans compétition, les automatismes sont difficiles à reprendre, l’IronMan a un peu rouillé.

Echauffement dans l’eau claire du lagon puis c’est le briefing : 1800m de natation avec un courant faible ce matin, 55km de vélo sur une route soigneusement balisée (y compris les trous), le top. Restera la course à pied en trois tours de 4 km que je n’ai pas reconnue…on verra bien.

Les pros s’alignent quelques mètres devant la foule des sportifs amateurs, les spectateurs, en grande majorité les familles, applaudissent à tout rompre pendant que les locaux regardent curieux et étonnés ces touristes aux jambes épilées dans des tenues bariolées qui veulent absolument tous nager au même endroit alors que la plage est vide.

Poooooooon!!

10m de sprint sur la plage et plouf dans le lagon. C’est parti pour 1200m, une sortie à l’australienne et 600m de rab’ pour le plaisir.Comme tous les mauvais nageurs, je préfère être en combinaison pour nager vite mais si l’allure n’est pas au rendez-vous c’est quand même le pied d’être là. A propos de pied, au bout de 800m on arrive sur un banc de sable et il faut se relever pour courir une vingtaine de mètres. Images surréalistes que ces triathlètes qui marchent sur l’eau !

Natation: check ✓

Je trotte jusqu’à ma bicyclette et là c’est le dilemme: essayer d’enlever chaque grain de sable incrusté entre les orteils ou bien mettre mes chaussures de vélo directement?

Option 2 ça me fera un gommage de la plante des pieds…

10km de plat/valloné où j’en profite pour manger et bien boire puis c’est l’ascension de la côte de Chamarel, environ 4km oscillant entre 10 et 16%, plus souvent 16 que 10 d’ailleurs. 


Tout à gauche, tête en bas, juste un petit coup d’oeil furtif vers la vue magique de la barrière de corail et je me reconcentre sur la puissance et la cadence. C’est quand même une course, ne l’oublions pas.

Je reprends quelques concurrents, bataille avec le dossard « 100 » qui me double, que je redouble, qui me reredouble et ainsi de suite. La transpiration ruisselle sur les lunettes, les bras, les jambes, de grosses gouttes de sueur s’écrasent sur le cadre du vélo.

Ouf, voilà le haut de la côte et la descente, d’abord au milieu de la forêt tropicale puis à travers les champs de cannes à sucre offrant une vue imprenable sur le lagon du sud de l’île. Waaaouuu. Je voudrais que la descente ne s’arrête jamais tellement c’est beau.

Une fois rejoint le bord de plage c’est un aller-retour de 12km (6+6) qui attend les cyclistes, vent de face sur l’aller. Je m’aplatis de mon mieux sur le prolongateur en écrasant les pédales de toutes mes forces jusqu’au demi-tour symbolisé par un simple cône au lieu de la route et un policier qui tente de réguler la circulation anarchique.

Sur le retour le vent chaud dope les performances sans avoir besoin des mollets de Jalabert, 50km/h, jamais en-dessous. J’évolue dans un écrin magnifique, les couleurs bleues du lagon d’un côté, la montagne verte de l’autre. Un véritable feu d’artifice qui explose sous le casque.

Je terrorise un coq qui traverse en piaillant et aborde la dernière montée, les cuissots brûlants mais tellement motivé que j’arriverai en haut sans m’en rendre compte. Dernier croisement, il reste 4km vers la plage: je suis déchaîné et envoie tout ce que je peux en position aéro.Mon copain le dossard « 100 » est maintenant loin derrière.

T2.

Zou le vélo est suspendu, je pose les fesses sur la serviette et peste en passant les manchons de compression sur les mollets humides. J’abandonne rapidement le nettoyage des petons et enfile les chaussettes pleines de sable.

La première boucle est éprouvante même si par chance le ciel est couvert, limitant la chaleur. J’ai été un peu trop prétentieux sur le vélo et les quadriceps tiennent leur vengeance.Premier km en 5min…oups, j’accélère comme je peux…deuxième km en 5min10…bouuuuh, je n’avance pas sur ce terrain sablonneux et instable.

Un coup d’oeil autour de moi pour me rendre compte que tout le monde subit le même sort et adhère au sol sans pouvoir dérouler une foulée raisonnable. Ça n’aide pas à courir mais ça rassure le mental de partager la même misère !

4 km interminables et je boucle, enfin, le premier tour.

Compte tenu des efforts qu’il va falloir continuer à produire je fais le choix d’un arrêt ravitaillement de 30 secondes (pause syndicale non reconductible néanmoins). J’avale mon « gel de secours ultime » que je transporte toujours en cas d’urgence et descends des litres d’eau car je suis aussi desséché qu’un compte en banque après le passage du Trésor Public.

Je repars tranquillement en mode footing souple vers l’autre côté du lagon en me focalisant sur la chance que j’ai d’être ici, que c’est le top, que je n’ai pas mal aux jambes, etc, etc, bref, des pensées positives.

Le gel bien chimique a été salvateur et les glucides font rapidement effet. Le rythme des pattes s’accélère en même temps que des sensations plus « aériennes » qui reviennent. Les 500m par boucle sur la plage sont malgré tout éprouvants.

Deuxième chouchou au poignet, ça va bien maintenant.

Je croise Charlotte Morel qui est quelques minutes devant (elle m’a mis une tôle en natation, on ne peut pas être plus clair…) et qui se dirige vers une nouvelle victoire.
Demi-tour à l’extrémité opposée du parcours pour rejoindre la ligne d’arrivée. Je double un concurrent « double chouchou » qui lutte pour rester à l’aspiration (enfin, l’aspiration c’est un bien grand mot en footing). L’esprit joueur, je place deux accélérations successives pour le décrocher et surtout m’assurer un passage plus serein sur les 500 derniers mètres de sable bien mou, car à cet endroit, je ne me sens pas en mesure de défendre ma place.

Voilà d’ailleurs la plage. Les pieds léchés par le ressac (en plus d’avoir du sable plein les chaussures, elles sont aussi trempées), je me retourne inquiet pour surveiller mes arrières mais il a définitivement abandonné tout espoir de remontée, ouf ça me va trèèèès bien.
Je savoure pleinement cette ligne droite en pensant aux mois précédents, à la déception et frustration de l’Altriman, aux innombrables doutes lorsqu’il a fallu reprendre l’entraînement.

Finalement l’arrivée se rapproche trop vite et je balaye ces souvenirs pour lever bien haut les bras tout en franchissant l’arche encadrée de palmiers.

Clap de fin dans un cadre idyllique, Madame, qui a fini son parcours de golf pendant que je m’amusais, shoote à la vitesse d’un paparazzi. 

3H18’ de bonheur.

3H18’ de bonheur.


Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, le président de la Fédération Mauricienne de Triathlon me serre la pince en m’autorisant l’accès à la deuxième marche du podium des 40-49 ans. Bon, le premier de la catégorie est aussi le deuxième au scratch, il m’a mis 1/4 d’heure…il y a encore du boulot.


Alors le “plus beau triathlon du monde »? Je laisserai chacun juger mais ce qui est sûr, c’est qu’on en prend plein les yeux!

Conclusion de la saison 2019…avant de penser à 2020, vous reprendrez bien un petit verre de rhum?? 😀

Stéphane –Triathlète de l’hémisphère Sud