Amer Altriman – Part II

Le précédent récit de cet Altriman inachevé a suscité de nombreuses demandes pour « avoir une suite ».

J’étais peu enclin à disserter sur des aventures non sportives et médicalement orientées, mais comme il faut bien passer le temps et que je suis encore loin de batifoler dans la nature avec mon bras en écharpe…
Voilà donc quelques lignes pour vous raconter les jours qui ont suivi ce triste 6 juillet 2019 jusqu’à l’opération chirurgicale de la semaine suivante.

Si j’en ai la demande et le courage, je ferai une « part III » pour satisfaire à la mode des trilogies et détailler ce que j’imagine aujourd’hui comme les joies de la rééducation…dans si longtemps…

Un très grand merci à vous tous pour vos très nombreux messages de soutien qui m’ont fait vraiment du bien, je suis certain que vous avez participé à un bout de la convalescence. Par contre, on prendrai vite la grosse tête à être aussi célèbre. Comme quoi, pas besoin de faire une performance pour être connu!

Bon, où en étions-nous déjà? Oui, je me rappelle, les pompiers arrivent…

—————

Allongé sur le bitume chaud, les fusibles disjonctent régulièrement mais je prends partiellement conscience du nombre croissant de secouristes qui s’affairent autour de moi. Pose d’une minerve, de perfusions puis transition T1 dans un matelas gonflable qui vient rajouter une douce chaleur moite de transpiration à la température extérieure. Elle n’est pas en Gore-Tex leur literie.

Le camion rouge et son colis bien empaqueté déboulent dans un hurlement strident de sirène vers l’hôpital transfrontalier Espagne/France. Malgré le matelas, je suis balloté en tous sens au fond du camion avec le sentiment que le volant a été confié à un chauffeur décérébré des Bouches-du-Rhône (pléonasme). Je prie en silence que le « pin-pon » officiel nous assure à la fois la priorité et la sécurité.

L’option climatisation n’ayant pas été choisie suite aux réductions de budget nécessaires pour améliorer les routes de l’Altriman (voir l’épisode précédent), la température du colis grimpe en flèche…associée à la douce strangulation de la minerve et je dois faire un effort de concentration intense pour ne pas vomir. Je tente de calmer les spasmes avec des respirations profondes mais réalise vite que les côtes du dit colis ne sont pas intègres et n’autorisent pas d’inspiration soutenue. A noter dans le futur état des lieux.

Que c’est long ce trajet, on va en Andalousie? Je somnole partiellement mais dès que les paupières s’abaissent, mon pompier préféré me gratifie d’une petite claque amicale pour « ne pas s’endormir ». Coincé dans le matelas, je ne peux pas me défendre à ce petit jeux.

Enfin l’hôpital et sa climatisation fraîche. La transition T2 vers le brancard se fait avec un appui prolongé sur l’épaule. Le disjoncteur saute à nouveau…vite réenclenché par la tape de mon nouveau copain le pompier.

Les espagnols enchaînent à la volée radio et scanner sans omettre, par tradition peut-être, trois nouvelles paires de banderilles dans les bras (les oreilles sont épargnées provisoirement).
L’agitation qui m’entoure cesse subitement et je suis stocké dans une chambre avec mes bidons de ravitaillement connectés directement aux veines dans la plus pure tradition cycliste. Il ne doit pas y avoir que de l’Isostar dedans.

Comme en garde à vue (enfin j’imagine), j’ai droit à un coup de fil pour avertir l’équipe de ma disparition. J’apprendrai plus tard que les spectateurs ont rapporté vélo, casque, chaussures et puce à l’organisation. A ce moment, c’est l’incompréhension de mes collègues entre un beau BMC suspendu à son emplacement et l’absence de dossard 137 sur le parcours CaP.

Un dernier coup d’oeil droit (le gauche ne voit plus rien) dans la chambre pour m’assurer qu’il n’y aucun pompier et l’épuisement prend le dessus, je m’endors au frais.

Je rouvre l’oeil devant notre célèbre Michel qui est en train de me dévisager. C’est la première fois que je ne le vois pas sourire…et en plus il est silencieux, sans voix, sans accent, sans grand mouvement de bras…je dois vraiment avoir une sale tête pour lui faire cet effet.

L’hôpital est heureux de se débarrasser de moi à la condition de porter une minerve et une attelle. Nous prenons le chemin de l’auberge dans la nuit noire profonde des Pyrénées. Ce n’est pas comme ça que j’imaginais le retour en me levant il y a bientôt 24h.

Dans l’intervalle, Olivier coche la case « IronMan » à son CV alors que Joseph écume les derniers ravitaillements et réalise à son tour l’exploit humain et sportif de devenir « un Altriman ». Mon immense frustration est adoucie par leur succès arraché à force d’entraînements et de volonté, mais quelle déception de ne pas se retrouver tous les trois avec nos médailles!

La fin de la nuit est coriace et ne fera pas partie des bons souvenirs:  la minerve rigide est étouffante, les douleurs se font ressentir dans tout le corps, les plaies saignent et adhèrent aux vêtements. Bref, la joie.

Ce n’est pas mieux le lendemain matin où chaque seconde qui me sépare d’un retour à la maison s’égrène leeeeeentement. C’est sincèrement une agonie de ranger les affaires à une main, d’assister à la course M de mes collègues tout sourire (désolé, je suis égoïste) et de patienter des heures sur un banc en bois pour bénéficier de la géniale (quand on est en forme) paella géante offerte par l’organisation.

Le retour est un calvaire, chaque irrégularité du macadam me rappelle à ma condition de puzzle malgré l’attention de Thomas qui conduit le plus souplement possible.
Les kilomètres vers « la maison » diminuent progressivement et après un voyage interminable, Madame reprend possession d’un triathlète en morceaux dans un état lamentable alors qu’elle l’avait prêté en pleine forme.
Je m’effondre le soir, content d’être « chez moi » mais pas très lucide: c’est certain, demain je vais sécher le boulot.

Le soleil se lève sur une nouvelle journée où ma phobie du corps médical va être mise à rude épreuve. Le chirurgien orthopédique de la clinique d’Arles pâlit à la lecture du scanner de mes vertèbres cervicales: « surtout ne bougez plus…il faut passer un IRM de toute urgence, la moelle épinière n’est pas loin »

Quelques Mega Sieverts (je vous laisse chercher cette unité sur Wikipédia) plus tard, je suis photographié, radiographé, scanné, IRMisé de toutes parts et deviens quasiment transparent. Ce soir pas la peine d’allumer la lumière, je suis aussi fluorescent que mes chaussures de vélo.

Le chirurgien amoureux du squelette dresse l’état des lieux: les cervicales ont tenu le coup (et le cou aussi d’ailleurs 😀), la mâchoire et la pommette sont intactes donc pas besoin de paille pour manger et l’oeil gauche devrait retrouver une couleur nominale dans les prochains jours.
Par contre les côtes sont bien endommagées comme je m’en doutais. J’ai aussi le privilège d’intégrer le cercle des cyclistes d’élites avec une fracture de la clavicule qu’il faut opérer rapidement.

Un brin sadique (c’est comme ça que je le vis, c’est injuste pour lui, j’en conviens), le joueur d’osselets m’annonce 45 jours d’immobilisation avant de pouvoir espérer une rééducation.
Quarante-cinq jours!!! Le monde qui m’entoure est absorbé d’un coup par un trou noir stellaire. Vous avez déjà vu un homme politique à qui on annonce qu’il ne pourra plus se servir dans la caisse en toute impunité? Ben je dois faire la même tête.

Le chirurgien m’explique posément qu’il va falloir commencer par « réduire la fracture » côté gauche puis mettre tout un attirail de plaques et de vis (en titane, on ne se refuse rien) pour tenir les morceaux du puzzle…Bref, du bon bricolage.

Je tente une plaisanterie en demandant à avoir aussi des plaques côté droit en guise de pare-buffle pour les prochains départs en triathlon mais la face du psychopathe de Castorama reste impassible sans l’ombre d’un sourire.
Du coup je ne lui demande pas pourquoi il veut me réduire la clavicule gauche. Je ne suis déjà pas grand et en plus je risque de nager de travers avec un bras plus court que l’autre.
Bon, définitivement pas un rigolo l’adepte du scalpel.

En deux temps et trois mouvements, je rencontre l’anesthésiste qui me fait signer tout un tas de papiers comme quoi ce ne sera pas sa faute si je ne me réveille pas et qu’il ne garantit pas que le succès soit au rendez-vous.

La dépose du matériel au parc à vélo (euh, non au bloc opératoire), ne se fait pas la veille mais bien le matin même sans avoir droit au petit déjeuner « course » avant le départ.

« Vous êtes cycliste » me demande l’infirmière après un coup d’oeil sur mes mollets épilés… « non madame, je suis triathlète, c’est bien mieux que cycliste, on a deux neurones en plus pour nager et courir, on ne drafte pas, en plus on est en fer». Je dis ça, mais je n’en mène pas large.
« ?????? Ah, d’accord, vous faites partie de ces malades mentaux qui soufrent pendant des heures pour un bout de pizza. Et si vous étiez réellement en fer vous ne seriez pas cassé en deux…» me répond-elle en sortant sa tondeuse pour s’attaquer au système pileux environnant mon épaule.

Elle me passe ensuite la tenue hospitalière taille XXL de marque ZeroD (i.e. Zéro Dignité) histoire de dissiper les derniers soupçons d’amour propre qui pouvaient subsister.

Direction la zone de départ pour retrouver l’acharné du bistouri et son acolyte l’endormeur professionnel qui susurre « regardez-moi vos paupières sont lourdes ».

Je lance une dernière blague, comme un SOS, en leur disant de ne pas réduire aussi le côté droit et tente inutilement de résister aux yeux perçants de l’anesthésiste.

Top 45 jours, 3888000 secondes.

Encore une fois le son et la lumière s’éteignent, ça devient pénible…

Stéphane
Jambonneau à la découpe